Table ronde,
dimanche 24 juillet 2011

"Pourquoi faut-il raconter des histoires?"

Ont participé, entre autres:
Dominic Toutain, Marie-Laure Millet, Lisa Baissade,
Babeth Sorensen, Estelle Sénégas, Florence Curt,
 Isabelle Cohen, Corinne Gardiol,
le sénateur Michel Teston
...

Deux de ces interventions :





                  

      Par Isabelle Cohen, conteuse, bibliothécaire bénévole.


Je n’avais pas vraiment lu cet intitulé et « faut-il » m’a sauté à la gorge.

Faut-il  fautif  fauter  ou bien la grande faux ?

Cet impératif catégorique est-ce pour ne pas dire qu’on ne raconte que pour éloigner la grande faucheuse ?

ou l’accepter ?

Relever aussi le mot «histoires » et non « contes ».

Des histoires, on en raconte tous les jours, des anecdotes,  ce qu’on vient de lire ou d’entendre à la radio on en a tous des milliers dans nos souvenirs et souvent nous en sommes même les héros ou héroïnes 

Tiens, de la drogue ?

Et si raconter c’était juste ça : une drogue dure à usage doux et nécessaire qu’on peut consommer tous les jours sans modération ?

peut ? (après falloir, pouvoir ?) hum…et s’il n’y avait rien de tout cela,   

juste des êtres humains dotés de langage, les seuls sur cette Terre  

peut-être sur Mars ou ailleurs…

La parole, c’est tellement nous, les z’humains, que nous la donnons aux animaux dans certains contes pour leur reprendre aussitôt dans d’autres…

C’est avec la parole que nous prétendons dans les contes explorer l’âme humaine,

la société, l’histoire…
 

Enfin moi c’est ce que j’aime faire : raconter des petites histoires pour mieux être dans la grande.

Dans les contes et les histoires je cherche toujours les résonances avec mes interrogations politiques et éthiques contemporaines, qui font la part belle aux travers humains, souvent aussi vieux que le monde.

Raconter des histoires c’est ainsi transmettre  des mythes, des cultures, des choses passées, pour vivre et nourrir le présent

c’est un outil de compréhension du monde et de changement    de résistance (un de mes mots préférés) .

Dans les contes de fées  le plus faible devient le fort : c’est la quintessence du rêve révolutionnaire, rien n’est impossible.

Il y autre chose que j’aime bien dans les contes étiologiques, par exemple, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie des valeurs.

La science n’y est pas à la noce ! Ni Dieu, ni Diable.

Ces récits de création sont souvent dérisoires, idiots, je n’y crois pas un instant, mais pourquoi pas …?

Et si  c’était vraiment comme ça que ça s’était passé, si avant c’étaient les hommes qui mettaient sept jours à accoucher des enfants par le genou  en hurlant de douleur, hein ?

Finalement je me dis qu’on raconte pour savoir pourquoi on raconte et pourquoi on vous écoute.

On raconte pour rester humble et modeste devant les histoires qui disent un jour blanc, un jour noir, où les fous enseignent la sagesse, les enfants aux adultes, les miséreux aux rois, les femmes aux hommes.

 
On raconte de l’intérieur du silence, pour savoir, pour comprendre, parce qu’on a aimé écouter des histoires, pour les dire encore et toujours mieux, avec la parole juste, la parole conteuse,
pour s’approcher au cœur de leur mystère et approcher le mystère des cœurs. …

 

 lezards


          Par Corinne Gardiol, psychologue, psychanaliste.

Ce n'est pas à cette question que je tenterais d'apporter quelques éléments de réflexion. En effet, ainsi posée, elle semble contenir une certitude : il FAUT raconter des histoires, mais pourquoi ?

J'aurais préféré un conditionnel «Pourquoi faudrait-il raconter des histoires?» ou une autre formulation «Pourquoi raconter des histoires», mettant ainsi de côté l'aspect obligatoire de cette activité.

Bien sûr, je comprends que les personnes présentes soient convaincues de l'utilité de leur pratique et le contraire serait dérangeant.

Mais personnellement, je ne fais pas partie du monde des conteurs et, puisque malgré, ou en raison même de cette particularité, vous m'avez conviée à cette table ronde, je m'autorise à réfléchir à une question reformulée : «Pourquoi raconter des histoires».

L'aspect obligatoire pourra, ou pas, être déduit de cette réflexion.

Je n'ai bien évidemment pas la prétention de vous livrer une réponse exhaustive. C'est par le bout de ma lorgnette que j'envisagerais cette question.

Donc nous parlons d'histoires (h minuscule et pluriel)laissant de côté ce qu'il est convenu d'appeler la «grande histoire» qui concerne le passé des peuples.

Les histoires qui nous intéressent se déroulent dans le passé ou dans le futur ; jamais dans le temps présent. Le présent est vécu et sera peut être raconté plus tard.

Mais la «grande» histoire n'est-elle pas composée d'une multitude de«petites» histoires ?

C'est peut être cet aspect temporel qui donne un sens parmi d'autres au mot histoire ; ce sens particulier est celui d'un mensonge. Pour Molière, une histoire était «un propos mensonger destiné à tromper ou à mystifier». Commentvérifier l'exactitude d'un fait passé dont ne faisions pas partie, ou d'un futur inconnu ?

Qui n'a jamais utilisé cette formule devant le doute ou la suspicion suscités par des propos ou des comportements ressentis comme mensongers : «ne me raconte pas d'histoire» ; injonction qui met en évidence un besoin de vérité, un refus du mensonge.

Selon les circonstances, il semble donc que «raconter des histoires» puisse être une activité honorable qu'il convient d'encourager ou méprisable qu'il convient de bannir voire de punir... Entendre des mensonges peut, selon la situation, nous ravir ou nous horrifier.

On serait tentés de trouver une explication à cet état de fait : un mensonge est insupportable lorsqu'il nous concerne directement et agréable lorsqu'ilne nous concerne pas. Mais alors, comment envisager le plaisir d'écouter des histoires si nous ne sommes pas concernés ?

Daniel Pennac vient à notre secours «L'imagination ce n'est pas le mensonge». Il nous permet de laisser de côté la problématique dumensonge pour envisager celle de l'imaginaire.

L'importance de l'imaginaire est une évidence partagée par tous.

Se poser la question de la nécessité de raconter des histoires revient à se poser celle de la raison de l'importance de l'imaginaire.

Commentdéfinir l'imaginaire ? Si nous sommes globalement tous d'accord pour convenir de sa nécessité, dès le plus jeune âge, évoquons-nous toujours le même imaginaire ?

Il existe deux formes fondamentales d'imaginaire : l'individuel et le collectif.

Le premier est souvent considéré comme seul lieu de la liberté. Je reviendrai plus loin sur cette évidence problématique.

Il convient peut être de distinguer l'imagination que nous mettons en œuvre pour palier l'absence de quelqu'un ou de quelque chose : le manque ou l'absence peut nous conduire à imaginer l'existence ou la présence de celle que nous développons pour créer un monde de toute pièce. Mais alors se pose une question qui me semble capitale : peut-on créer à partir de rien ? Non, à l'évidence.

L'imaginaire est opposé au réel. Le réel nous évoque l'aspect conscient de notre appareil psychique ; par conséquence directe, l'imaginaire nous évoque son aspect inconscient.

L'inconscient freudien, dont il est ici question, est constitué de contenus refoulés : pulsions, désirs, représentations insupportables...

La voie royale de l'accès à l'inconscient est, toujours selon Freud, le rêve.

Nous pouvons donc penser que l'imaginaire est assimilable à une rêverie, ou rêve diurne. Ce dernier revêt, sur le plan psychanalytique, les mêmes caractéristiques que le rêve nocturne : accomplissement du désir, construction basée pour une bonne part sur les impressions laissées par des évènements infantiles, absence de censure.

La vie collective dans notre monde sorti de la nature pour se situer dans une évolution due à la culture empêche la réalisation de tous nos désirs. Pour ne pas évoluer dans un monde mené par la barbarie nous avons du abandonner le principe de plaisir au bénéfice du principe de réalité. Pour autant, les désirs et les pulsions archaïques n'ont pas déserté notre psychisme. Le rêve, par son absence de censure,en permet la réalisation.

Freud a qualifié le rêve de «gardien du sommeil» en ce qu'il permet à l'homme de ne pas avoir son sommeil perturbé par la présence de désirs qu'il ne pourra assouvir.

Nous pouvons ici avoir un premier élément de réponse à la question qui nous est posée aujourd'hui : les histoires, permettant l'expression d'un imaginaire nourri de contenus inconscients, peuvent être envisagées comme «gardienne de l'état de veille». Si nous osons le parallèle avec la théorie freudienne, l'imaginaire permet de

vivre dans le monde en autorisant l'expression des désirs rendus inacceptables par les règles de la vie communautaire. L'imaginaire peut être une fuite face au réel.

Nous pensons alors à l'effet cathartique que l'on accorde parfois à une forme d'histoire particulière : le théâtre qui permettrait de se libérer de ses passions néfastes.

Le contenu latent, inconscient de notre psyché est propre à chacun. Je rappelle l'importance des traces infantiles dans le rêve. C'est ici une restriction que je poserais à l'imaginaire comme lieu de liberté. Nous y sommes en effet dépendants de notre histoire.

Par un mécanisme d'identification, le public peut se reconnaître dans un des membres de l'histoire. Cela peut le rassurer, le guider : il n'est pas seul à connaître telle ou telle difficulté, voilà comment un des héros du conte a résolu ou non son problème.

Par un mécanisme de projection, il peut attribuer à l'un des protagonistes des qualités ou des défauts qu'il souhaite voir disparaître ou au contraire exister.

Son rôle, même si ces mécanismes sont inconscients, est dont moins passif qu'il pourrait le sembler.

Le second type d'imaginaire est collectif. Selon Jung, l'imaginaire collectif est porteur de la mémoire de l'humanité symbolisée par les mythes.

Dans la question posée aujourd'hui, cette différence ne me semble pas faire avancer notre réflexion. Le collectif est présent dans l'individuel.

Pour résumer cette réflexion, les histoires sont importantes pour vivre avec les autres, pour supporter la vie et son réel.

Mais accepter d'entendre des histoires, c'est accepter d'être dérangé.

Il relève bien entendu de la liberté de chacun d'accepter ou de refuser d'entendre des histoires ; cela ne relève pas d'une obligation.

Les pulsions et autres désirs évoqués plus avant peuvent bien être satisfaits autrement : Freud a mis en avant une possibilité de sublimation. Ainsi, toute activité artistique  devrait permettre «d'utiliser» ses différentes frustrations afin de faire acte de création.

Il existe également bien entendu des personnes pour lesquelles la frustration est insupportable et qui évolueront vers la pathologie.

Nous avons abordé là l'importance de l'imaginaire et donc des histoires dans notre vie.

Mais nous n'avons pas abordé la question relative au fait de raconter. Pourquoi

raconter est-ce important ? Quel apport supplémentaire par rapport à la lecture personnelle ? La question initialement posée ne concernait pas le destinataire des histoires mais le conteur ; il n'est pas demandé «pourquoi écouterdes histoires ?» mais «pourquoi raconterdes histoires ?».

Si l'on accepte l'aspect inconscient contenu à la fois dans le contenu des histoires et dans l'activité du public, alors nous devrons aussi l'accepter chez le conteur.

Reprenons la notion centrale dans les histoires : l'imaginaire.

C'est ainsi qu'est qualifiée la relation mère/nourrisson dans les premières semaines de la vie du bébé. Onévoque ainsi ce moment particulier où la mère se vit comme étant tout pour son enfant et réciproquement. Cette relation évoluera grâce à l'émergence d'un tiers séparateur. Peut-on de ce fait voir dans la position du conteur d'histoire une position maternelle ?

Le conteur, terme générique adapté à celui qui raconte des histoires, est bien un passeur ; passeur entre passé et présent, entre réalité et imaginaire, entre individuel et collectif, entre écrit et oral, entre oral et oral.  Il relie chacun de ses auditeurs à un tout ancestral et contemporain.

La mère est le passeur fondamental : d'une cellule née dans son corps elle permet la constitution de l'être humain, le passage du néant à la vie. Cette vie ne sera pas toujours considérée comme un cadeau. Il neme semble pas que l'on puisse systématiquement envisager les histoires comme des moments joyeux.

Peut être pouvons nous voir ici une des raisons de l'intérêt que les histoires nous soient racontées plutôt que nous les lisions pour nous-même : le conteur ne nous fait pas toujours plaisir ; il peut nous effrayer, nous mettre mal à l'aise. Mais là, aucune fuite possible ; aucun arrêt d'une  lecture dérangeante.

Comme une mère symbolique qui nous dirait «Voilà ce n'est pas toujours facile, pas toujours gai, mais c'est la vie qui t'a été donnée».

Pourquoi choisir de raconter des histoires ? J'utilise le terme «choisir» afin d'éliminer toute notion d'obligation.

Tout d'abord pour soi-même me semble-t-il. La nature, quasi première, narcissique de l'être humain y trouve ici une satisfaction. Donner du plaisir aux autres est avant tout une satisfaction personnelle.

Il serait, me semble-t-il, intéressant d'analyser ses thèmes de prédilection ; un psychanalyste y trouverait à coup sûr des indications quant aux problématiques intimes et inconscientes du conteur.

Je ne peux croire que l'on choisisse de raconter un conte par hasard.

Si l'on se remémore les vertus des histoires, peut être peut-on se hasarder à faire l'hypothèse que ceux qui font le choix de raconter sont ceux qui sont le plus en proie à des tourments existentiels ? Au point de vouloir les faire partager afin de les alléger ? Aurions-nous là un début de réponse à la question «pourquoi raconter des histoires» ?

Mais je ne tomberai pas dans le travers d'une généralisation. Autant de conteurs autant de motivations, du moins conscientes.

Ces propositions permettraient peut être d'aborder une réflexion plus aboutie, dont nous n'aurons pas le temps ici.

Ces analyses que je vous ai proposées ne me permettent pas d'affirmer qu'il FAILLE raconter des histoires mais simplement qu'il peut être important, voire vital de le faire pour certains d'entre nous.

Il manque une notion importante à cette analyse : celle du plaisir et donc du désir.

En psychanalyse nous admettons que le désir ne peut naître qu'après une première satisfaction. Et l'on entrevoit à nouveau le rôle maternel dans cette première réponse au besoin.

Peut être est ce cela après tout que nous recherchons en écoutant un conteur envisagé inconsciemment comme une mère symbolique qui nous rendrait nos premiers bonheurs de nourrisson comblé ?

Ainsi serait bouclée la boucle de la vie : tour à tour nous la recevons et la transmettons.

Ne dit-on pas que l'histoire se répète toujours ?

 





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salam