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Un petit conte pour la route
le choix de Jacqueline
Il était une fois une femme qui avait deux filles : l'aînée servait
dans une maison de la ville voisine ; la plus jeune demeurait avec sa
mère dans une chaumière isolée au milieu de la forêt.
Un jour que
cette dernière, qu'on appelait Marie de la Chaume des Bois, était
seule, occupée à filer, elle entendit frapper à la porte ; elle ouvrit
et vit entrer un beau jeune homme habillé en chasseur, qui la pria de
lui donner à boire, lui disant qu'il était le roi du pays. Il fut si
frappé de la beauté de la jeune fille, que peu de jours après il revint
à la chaumière pour demander sa main. La mère, qui n'aimait que sa
fille aînée, aurait bien voulu la faire épouser au roi ; elle n'osa
pourtant pas s'opposer au mariage de la cadette, et les noces se firent
en grande cérémonie.
A quelques temps de là, le roi fut obligé de
partir pour la guerre.
Pendant son absence, la mère de la reine vint au
château avec son autre fille.
Celle-ci qui enviait le bonheur de sa
soeur et la haïssait mortellement, voulut profiter de l'occasion pour
se venger.
Elle se jeta un jour sur la reine, lui arracha d'abord les
yeux, puis les dents, enfin lui coupa les mains et les pieds et la fit
porter dans une forêt, où on l'abandonna. Comme elle ressemblait à sa
soeur, elle se fit passer pour la reine.
Cependant, la pauvre
reine n'attendait plus que la mort.
Tout à coup, un vieillard se trouva
près d'elle et lui dit :
" Madame, qui donc vous a abandonnée
dans cette forêt? "
La reine lui ayant raconté ce qui lui était
arrivé :
" Vous pouvez, dit le vieillard, faire trois souhaits ;
ils vous seront accordés.
- Ah! répondit la reine, je voudrais
bien ravoir mes yeux, mes dents, mes mains, et,
s'il m'était permis de
faire un souhait de plus, mes pieds aussi."
Le vieillard dit à un
petit garçon qui était avec lui :
" Prends ce rouet d'or, et va le
vendre au château pour deux yeux. "
Le petit garçon prit le rouet
et s'en alla crier devant le château :
" Au tour, au tour de filer
! Qui veut acheter mon tour à filer? "
La fausse reine sortit au
bruit et dit au petit garçon :
" Combien vends-tu ton rouet ? - Je le vends pour deux yeux."
Elle s'en alla demander
conseil à sa mère.
" Tu as mis les yeux de ta soeur dans une
boîte, dit la vieille ; tu n'as qu'à les donner à cet enfant. "
Le
petit garçon prit les yeux et les rapporta au vieillard.
Celui-ci ne
les eut pas plus tôt remis à leur place que la reine recouvra la
vue.
" Maintenant, dit-elle, je voudrais bien ravoir mes
dents."
Le vieillard donna une quenouille d'or au petit garçon et
lui dit :
" Va au château vendre cette quenouille pour des dents.
"
L'enfant pris la quenouille et s'en alla crier devant le
château.
" Quenouille, quenouille à filer ! Qui veut acheter ma
quenouille ? "
" Ah! pensa la fausse reine, que cette quenouille
irait bien avec le rouet en or ! "
Elle descendit de sa chambre
et dit au petit garçon:
" Combien vends-tu ta quenouille ? - Je la vends pour des dents."
Elle retourna trouver sa mère.
" Tu as les dents de ta soeur, dit la vieille; donne-les à cet enfant."
Le petit garçon rapporta les dents, et le vieillard les remit à
la reine, si bien qu'il n'y parut plus.
Ensuite, il donna une bobine
d'or à l'enfant.
" Va au château, lui dit-il, vendre cette bobine
pour deux mains. "
La fausse reine acheta la bobine pour les deux
mains de sa soeur. Il ne manquait plus à la reine que ses pieds.
" On ne peut filer sans épinglette et sans mouilloir, dit le vieillard
à l'enfant ;
va vendre cette épinglette et ce mouilloir d'or pour deux
pieds. "
La fausse reine charmée d'avoir toutes ces belles choses
à si bon marché, courut chercher les pieds de sa soeur, que l'enfant
rapporta. La reine ne savait comment témoigner sa reconnaissance au
vieillard.
Celui-ci la conduisit derrière le jardin du château, lui dit
de ne pas se montrer encore et disparut.
Ce jour-là même, le roi
revint de la guerre. En voyant la fausse reine, il crut que c'était sa
femme ; il la trouva changée, mais il supposa que c'était parce qu'elle
avait eu du chagrin d'être restée longtemps sans le voir.
Elle lui
montra le rouet d'or, la quenouille et tout ce qu'elle avait acheté,
puis ils descendirent ensemble dans le jardin.
Tout à coup, on
entendit frapper à la porte: c'était le vieux mendiant. La fausse reine
voulait le chasser , mais le roi lui fit bon accueil et lui demanda
s'il n'avait rien vu dans ses voyages qui méritait d'être
raconté.
" Sire, dit le mendiant, il n'y a pas longtemps , j'ai
rencontré dans une forêt une dame à qui l'on avait arraché les
yeux et les dents, coupé les pieds et les mains. C'était sa soeur qui
l'avait traitée ainsi. J'ai envoyé à cette méchante soeur un petit
garçon qui lui a vendu un rouet d'or pour ravoir les yeux, une
quenouille d'or pour les dents, une bobine d'or pour les mains,une
épinglette et un mouilloir d'or pour les pieds. Si vous voulez, Sire,
en savoir davantage, vous trouverez là-bas, au bout du jardin, une
femme qui vous dira le reste. "
Le roi suivit le mendiant et fut
bien surpris et bien joyeux en reconnaissant sa femme.
Il la ramena au
château ; puis il ordonna d'enchaîner la mère et la soeur de la reine
et de les jeter aux bêtes.
Contes et légendes de France
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