Un petit conte pour la route 
Le choix d'Amalia Ce que père fait est bien fait ( suite )
…
L'échange fait, ils entrèrent à l'auberge. Là notre homme mit son sac
près du four qui était brûlant. L'hôtesse n'y prit pas garde. Dans la
salle il y avait beaucoup de gens : des maquignons, des marchands de
bœufs, pas mal de gens de la campagne, quelques ouvriers qui jouaient
entre eux dans un coin et enfin à un bout de la table, deux Anglais
moitié touristes, moitié marchands, et qui étaient venus à la ville
pour voir si quelque occasion ne se présenterait pas de trouver une
bonne affaire. N'ayant rien rencontré, ils étaient attablés et
regardaient avec indifférence le reste de la salle. On sait que les
Anglais sont presque toujours si riches que leurs poches sont bondées
d'or. De plus ils aiment à parier, à propos de n'importe quoi, rien que
pour se créer une émotion passagère qui les change un instant de leur
froideur continuelle.
Or, voici ce qui arriva :
- Psiii, psiii !
entendirent-ils près du four.
- Qu'est-ce ? demandèrent-ils. Le paysan
leur conta l'histoire du cheval échangé contre une vache et ainsi de
suite jusqu'aux pommes.
- Tu va être battu à ton retour, dirent les
Anglais. Tu peux t'y attendre.
- Battu ? Non, non ! J'aurai un baiser
et l'on me dira : " Ce que le père fait est toujours bien fait. "
-
Nous parierions bien un boisseau d'or que tu te trompes ; cent livres,
si tu veux. - Un boisseau me suffit, dit le paysan. Mais moi, je ne
puis parier qu'un boisseau de pommes, et je l'emplirai jusqu'au bord.
-
Allons, topons-là ! cent livres contre un boisseau de pommes. Et le
pari fut fait. La carriole de l'aubergiste fut commandée, et tous les
trois y montèrent avec le sac de pommes. Les voici arrivés.
- Bonsoir,
la mère ! - Dieu te garde, mon vieux !
- L'échange est fait. - Ah ! tu
t'y entends, dit la paysanne pendant que son mari l'embrassait.
- Oui,
j'ai troqué notre cheval contre une vache.
- Dieu soit loué ! dit la
mère. Je pourrai désormais faire des laitages, du beurre, du fromage.
Excellent échange !
- Oui, mais j'ai ensuite échangé la vache contre
une brebis.
- C'est encore mieux. Nous avons juste assez de nourriture
pour une brebis. Nous aurons du lait, du fromage, des bas de laine et
des gilets. Une vache ne donne pas de laine. Comme tu penses à tout !
-
Ensuite j'ai troqué le mouton contre une oie.
- Est-ce vrai ? Alors,
nous pourrons manger de l'oie rôtie à Noël ! Tu penses à tout ce qui
peut me faire plaisir, mon bon vieux. C'est bien à toi. Nous pourrons
attacher notre oie dehors avec une ficelle pour qu'elle ait le temps
d'engraisser.
- Oui, mais j'ai troqué mon oie contre une poule.
- Une
poule ! Oh ! la bonne affaire. Elle nous donnera des œufs. Nous les
ferons couver et nous aurons des poussins. J'ai toujours rêvé d'en
avoir. - Oui, oui, mais j'ai échangé la poule contre un sac de pommes
pourries.
- Cette fois, il faut que je t'embrasse, dit la paysanne
ravie. Je te remercie, mon cher homme. Et il faut que je te raconte
tout de suite quelque chose. Après que tu as été parti ce matin, je me
suis demandé ce que je pourrais te faire de bon pour ton retour. Des
œufs au jambon, naturellement. J'avais des œufs mais il fallait bien
aussi de la civette. J'allais donc chez le maître d'école en face. Je
savais qu'il en avait. Mais sa femme est très riche, sans en avoir
l'air. Je lui demandai de me prêter un peu de civette. " Prêter, me
dit-elle. Il n'y a rien dans notre jardin, pas même une pomme pourrie !
" Maintenant, c'est moi qui pourrais lui en prêter, et tout un sac,
même. Tu penses si j'en suis contente, mon petit père !
- Bravo !
dirent les deux anglais à la fois. La dégringolade ne lui a pas enlevé
sa gaieté. Cela vaut bien l'argent.
Ils comptèrent au paysan l'or sur
la table.
Le père et la mère eurent de quoi vivre tranquilles et
heureux jusqu’à la fin de leurs jours.
Mais ce que le conte ne dit pas,
c’est que leur plus grand trésor était l’amour qu’ils partageaient.
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